Jasper, 4 738 âmes, nichée au milieu des Rocheuses canadiennes et bordée des rivières Athabasca et Miette ainsi que du glacier Columbia, n’est pas une ville comme les autres.
Cette ville de la province de l’Alberta est la localité la plus emblématique des Rocheuses canadiennes et est également la destination touristique canadienne prisée des amoureux du vivant non-humain. Les touristes n’hésitent pas à la rejoindre au moyen de leur voiture ou bien via le train (ligne Via Rail Toronto-Vancouver) pour la découvrir elle ainsi que le parc national qui l’entoure.
Son succès, elle le doit aux paysages que l’on peut y voir, entre forêts de résineux parfois enneigées et lacs à l’eau pure, sans bien sûr oublier la riche faune si vous êtes assez chanceux pour la rencontrer (cerfs, mouflons, chèvres de montagne, loups, coyotes ou encore ours).
Et maintenant, tabula rasa ! Oubliez ce tableau idyllique. Vous avez découvert la beauté et la douceur de vivre à Jasper mais maintenant place à l’enfer. En effet, au cours de l’été 2024, un feu de forêt d’origine naturelle s’est déclaré dans le parc national attenant et qui a fini par se propager dans le village.
Sur 1 113 bâtiments recensés dans la ville, 358 ont été entièrement carbonisés ; le reste des structures a été endommagé par les chaleurs infernales dégagées par les flammes et l’épais nuage de fumée. Fort heureusement, les infrastructures essentielles ont pu a minima être préservées. Mais malgré ce léger optimisme, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a dévoilé trois statistiques démontrant la gravité de l’événement : premièrement, à la suite de l’incendie, environ 2 500 demandes d’indemnisation ont été déposées auprès des compagnies d’assurance canadiennes, un flot gigantesque qui mettra plusieurs mois voire années pour être apuré ; deuxièmement, en coûts directs (donc hors coûts indirects comme l’absence de tourisme, etc…), l’incendie de Jasper aura coûté plus de 580 000 000 €, personnes publiques et privées confondues ; troisièmement, il s’agit du sinistre le plus coûteux de l’histoire des parcs nationaux du Canada.
L’incendie qui a touché Jasper n’a pas fait que des dégâts sur les bâtiments, il a aussi fait voler en éclat pléthore de vies qui se retrouvent désormais dépourvues de toit, expropriées par le feu de la destruction.
Mais il a aussi marqué les esprits, parfois de manière très violente : il ressort d’une étude publiée dans la revue The Lancet Planetary Health mi-août 2024 que jusqu’à 60 % des adultes ayant subi des conséquences du feu pourraient souffrir pendant plusieurs mois de stress post-traumatique. C’est en ce sens que la ville de Jasper a mis en place une cellule d’écoute et de suivi psychologique ; celle-ci a toutefois été critiquée eu égard à son manque de moyens. Outre l’aspect psychologique, c’est aussi l’aspect sanitaire qui a inquiété les résidents et les autorités sanitaires en raison de la présence de certains contaminants dans les maisons demeurées intactes ou partiellement brûlées et où les personnes sont retournées vivre. Il est d’ailleurs à préciser que les tests pour vérifier la contamination de l’air de la maison (quelles molécules et en quelle quantité) n’entrent pas dans le cadre des polices d’assurance canadiennes. Ceux-ci coûtent donc entre 13 250 et 16 500 €.
Un autre effet particulièrement impressionnant de l’incendie, ce sont les orages pyrocumulonimbus qui, selon le météorologue David Peterson, « sont comme des cheminées géantes, qui canalisent la fumée libérée lors d’incendies » et qui peuvent produire beaucoup d’éclairs et des vents violents. Contrairement à un orage classique comme nous le connaissons, les gouttelettes d’eau contenues à l’intérieur du nuage ne deviennent pas assez grosses pour retomber sous forme de pluie.
La conséquence concrète d’un tel nuage est terrible : sur son passage, il déclenche de nouveaux incendies là où les flammes n’ont pas encore élu domicile.
Que s’est-il passé depuis l’incendie de Jasper il y a deux mois ? Un soupçon d’espoir puisque le vivant non-humain a commencé à se régénérer avec même une grande vigueur à certains endroits particulièrement propices à une renaissance rapide.
Mais le Canada ne se voile pas la face pour autant : les feux de forêt sont de plus en plus nombreux, de plus en plus violents en intensité et de plus en plus étendus, accélérés par le changement climatique. La dernière statistique en date est d’ailleurs éloquente pour comprendre l’ampleur de ce dont on parle : en 2023, quinze millions d’hectares de forêt ont brûlé dans tout le Canada (4 % de la surface forestière totale du pays ou encore 40 % de la surface de la France métropolitaine) et 200 000 personnes ont dû être évacuées ; il est à noter que le sort de nombreuses personnes évacuées et ayant perdu leur logement et leurs biens est toujours non résolu positivement, les autorités canadiennes n’étant pas en capacité de venir en aide à autant de personne dans un si court laps de temps.
Et même si certains incendies peuvent avoir une fonction curative de supprimer les vieilles plantes pour laisser place à de nouvelles, plus vigoureuses (et donc provoquer un changement positif dans les écosystèmes forestiers) et plus efficaces à capturer les gaz carbonés, il n’en demeure pas moins que toutes les molécules carbonées absorbées et accumulées par les vieilles plantes sont instantanément renvoyées dans l’atmosphère lors de l’incendie, renforçant le changement climatique déjà en place : en 2023, 2 371 mégatonnes de dioxyde de carbone et de monoxyde de carbone ont ainsi été renvoyées vers l’atmosphère. C’est à cause des feux de forêt que le Canada a été propulsé du onzième rang en 2022 au quatrième rang en 2023 des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre. Il est également à préciser que la régénération de forêts ravagées par les feux prend au minimum trente ans, si ce n’est davantage, pour que les premières plantes commencent à capturer avec effectivité les molécules de carbone, un délai incompatible avec l’urgence d’avoir à disposition toutes les ressources disponibles pour capturer efficacement des molécules carbonées.
En 2021, le gouvernement canadien a mis en place une politique extrêmement ambitieuse de replantage d’arbres afin de régénérer autant que faire se peut les forêts du pays : 2 000 000 000 d’arbres en dix ans. Si les intentions étaient bonnes et les objectifs atteints la première année, tout s’est écroulé dès la deuxième année et le pays de l’érable semble en passe de complètement rater son objectif alors pourtant qu’il s’agit d’un impératif pour agir contre le changement climatique et la perte de vivant non-humain.
De manière générale, certaines personnes considèrent que les politiques écologiques menées au Canada relèvent de l’hypocrisie après examen des mesures anti-écologiques adoptées dans le pays : construction de pipelines (Keystone XL, Enbridge Line 5), traités de libre-échange (Comprehensive Economic and Trade Agreement avec l’Union européenne, Accord Canada - États-Unis - Mexique), etc…